L’art de l’obscénité

“How do people, like, not curse? How is it possible? There are these gaps in speech where you just have to put a « fuck. » I’ll tell you who the most admirable people in the world are: newscasters. If that was me, I’d be like, « And the motherfuckers flew the fucking plane right into the Twin Towers. » How could you not, if you’re a human being? Maybe they’re not so admirable. Maybe they’re robot zombies.”
― Nick Hornby, A Long Way Down

Ce que dit Nick Hornby ici, c’est ce que je ressens absolument tous les jours. Pour moi, jurer c’est comme respirer. Alors forcément en tant que professeur, ça déplaît voire ça choque mais je n’en ai que faire. Parfois c’est même absolument salutaire et opportun. Attention, je ne suis pas en faveur du juron compulsif, du juron-ponctuation à tout bout de champ. Je fais partie de ces putains d’élitistes du juron qui considèrent l’obscénité comme un art qui se doit d’être bien maîtrisé. A trop utiliser la même formule magique, elle perd de son impact et de sa force, elle ne veut plus rien dire, on l’a drainée de son pouvoir intrinsèque. Cependant, si on l’utilise avec parcimonie, au moment opportun, l’impact sur l’auditoire sera d’autant plus fort ! Alors pourquoi jure-t-on, ou pourquoi se retenir de jurer, comment parsemer son discours de savoureuses obscénités, et comment, par là même, lui donner une réelle valeur ajoutée?

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Le gros mot : réservé à la basse société

« Au 13e siècle « grossier » désignait un ouvrier qui travaillait de grosses pièces de fer ou un commerçant en gros (un grossiste). « Grossier » peut être aussi utilisé pour parler d’un travail bâclé ou de mauvaise qualité. Ex. : ces vêtements ont été taillés de façon grossière ! » (source : 1jour1actu)

En bref, quand on est grossier, on fait dans le gros oeuvre, on a un métier un peu bourrin. On ne connaît pas la finesse du détail. Pourtant, ne peut-on pas être grossier de manière raffinée? Erudit-obscène? Un mix de registre soutenu aux teintes parfois argotiques? Come on! Ne me dites pas que vous croyez encore en ces catégories immuables et étanches !

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Un exorcisme journalier

Ne pas jurer tient pour moi de l’exploit. Ou comme le dit très bien Nick Hornby, d’un caractère somme toute assez robotique. Jurer, sans forcément être insultant envers quelqu’un, (jurer contre n’importe quoi, un objet, le temps, une action…) c’est aussi une manière de déverser le trop plein d’émotions négatives et de les laisser s’évaporer. Plus le juron est drôle, riche et fantasque, plus la sublimation est alors efficace ! Je crois vraiment en la sublimation de nos pulsions quotidiennes de mort et d’agressivité, et jurer de manière imaginative et humoristique est certainement l’un des meilleurs moyens (avec l’art, la danse, le sport) de sublimer ce qu’il y a de plus bas et de finalement grossier en nous. Parce que pour moi, grossier n’est pas le langage, grossier (au sens le plus péjoratif du terme) est l’acte, le bouillonnement non canalisé, non sublimé d’un sentiment négatif. Il n’y a rien de plus grossier que la frustration et la jalousie.

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Alors il s’agit, quotidiennement, de :

– péter une durite
– exorciser le mal
– expulser le démon
– conjurer le sort
– extraire le fèces
– talk some real shite and carry on with your life!

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Un art à part entière

“Vulgarity is like a fine wine: it should only be uncorked on a special occasion, and then only shared with the right group of people.”
― James Rozoff

C’est un art, d’une car cela demande des connaissances lexicales assez étendues, et de deux un art de doser langage soutenu avec langage familier / argotique / grossier ! Je ne crois pas en un sous-langage, une langue parlée est nécessairement composite et prend ses origines autant dans la littérature, les croyances populaires que la rue. Et c’est justement cette pluralité qui fait sa richesse ! Vouloir absolument se cantonner à un seul registre, c’est d’une tristesse et d’un passéisme sans nom. C’est être vieille école puant de condescendance, ou banlieusard enclavé. C’est ne pas croire en la porosité des cercles. Quel dommage.

Je repense à cet exemple génial donné dans Mindhunter où le héros profiler au FBI adopte le vocabulaire et les codes des criminels avec qui il s’entretient (pour déterminer le fonctionnement psychologique d’un serial killer). Au lieu de suivre la procédure universitaire du questionnaire froid et objectif, il tente de sympathiser avec les prisonniers. Il adopte leurs codes langagiers, il fait mine de les comprendre, de leur ressembler même. Ainsi il crée une mise en confiance idéale qui a énormément permis de faire avancer la recherche en psychologie criminelle.

Lorsque l’on éprouve un réel désir de compréhension, de connexion avec autrui, notre langage va forcément le refléter. Pas de manière drastique, mais ce désir de rapprochement va forcément créer une forme de mimétisme langagier. Une mise en confiance, une preuve que l’on est pas si éloignés de notre interlocuteur.

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Une réception forcément mitigée

Hélas la réception n’est pas toujours très positive. Au-delà du souhait mimétique / d’empathie, j’aime utiliser un langage varié, fleuri, châtié mais aussi grossier. C’est un exutoire idéal, mais aussi une manière de dire à l’autre « Mec, je te mets pas la pression, tu me mets pas la pression ». C’est absolument salvateur. J’ai sans cesse une voix en moi de reproche, ce surmoi si bien intégré. Ponctuer son discours ici et là de petites et charmantes obscénités permet de dissiper la force de ce couvercle oppressant. De plus, il y a un réel art à valser entre les registres et créer un comique de contraste, un registre burlesque sporadique qui vient alléger et déclencher les fous rires !

Un merveilleux exemple ici avec Stephen Fry : The joys of swearing

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Place à l’honnêteté

Utilisez-vous régulièrement des « gros mots » en société? Essayez-vous de vous détacher de cette vilaine habitude, ou bien vous n’y accordez pas beaucoup d’importance car l’essentiel demeure de dire ce que l’on a sur le coeur, ou encore… cultivez-vous ce petit tic langagier comme un esthète?

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Tenue

Jeans, Asos
Chaussures, Vinted
Tee-shirt, Boohoo
Bandeau, Pimkie
Sac, Pimkie

Photos

Velvet Lemonade (merci !! <3)
(couverture par Grégoire Guillemin)

Lieu

Jardin des plantes, Montpellier

20 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Claire dit :

    Hello, ça m’arrive de jurer de temps à autres, mais vraiment quand j’en peux plus de quelque chose ^^’ Sinon, j’essaye de tourner mes jurons d’une autre façon 🙂 En tout cas, très bel article !

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    1. Ca fait travailler l’imaginaire !! ha ha merci à toi 🙂

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  2. J’aime beaucoup ta façon d’écrire, très littéraire.
    Personnellement j’utilise mensuellement des jurons; par contre mon mari un vrai charretier, depuis qu’il est chauffeur-livreur.

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    1. Merci beaucoup !! ha ha ha je comprends tellement ce glissement soudain vers le monde du juron compulsif en tant que chauffeur-livreur ! Ca doit faire partie de la fiche de poste ^^

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  3. Féelyli dit :

    Je fais très attention car je déteste les « gros » mots mais parfois ça fait du bien…

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    1. Oui ça peut être libérateur et imaginatif ^^

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  4. Rachelmarine dit :

    Coucou ça m’arrive de temps à autres de jurer mais pas souvent j’aime bien ton article original 😊belle soirée

    Rachelmarine

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    1. Merci beaucoup et belle soirée à toi aussi!

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  5. Hello ! Pour moi péter une durite c’est tout un art… Je crois que les gros mots c’est malheureux mais ça fait partie de mon quotidien. J’ai adoré ton article en tout cas !

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    1. Ha ha ha ha! Génial! Je ne suis pas la seule ! Il faut se décomplexer de ce truc qui dit qu’une fille bien élevée ne peut pas jurer, moi j’adore dire « je m’en bats le clit », ha ha c’est moche mais c’est l’équivalent de l’expression masculine !

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  6. Alors moi je jure comme un charretier tout le temps… sauf avec mes parents. Avec eux, je ne dis presque aucun gros mot. L’habitude de ma jeunesse sans doute!

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    1. Ha ha ha je suis aussi comme ça… j’évite avec mes parents, ce seraient les premiers à me faire la morale et si je peux éviter… avec les gens que ça fait marrer, je m’en prive pas par contre ^^

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  7. Je pense que lorsque l’on envient au gros mot c’est qu’on a atteint un point de « non retour » ; en tout cas, c’est comme ça pour moi quand j’en dis, c’est que c’est trop tard

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    1. Ah oui carrément, ça dépend avec qui j’imagine. Si t’es chef de l’état et que tu passes au 20h c’est limite en effet, mais si t’es entre potes et que c’est une forme de libération, pourquoi pas ^^

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  8. J’adore ta façon d’écrire !! Tes articles sont très intéressants à lire et riches . Good work!!! 😊😊

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    1. Adorable !! Mille mercis ! Heureuse que tu t’y retrouves aussi 🙂

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  9. Miromensil dit :

    Il parait que les gros mots soulagent la douleur 🙂 (https://www.youtube.com/watch?v=mNFSuKtKO1Y) Super article, sinon ^^

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    1. Excellente ta vidéo, merci beaucoup ! C’est génial cette découverte quand même ! Gros mots = endorphine = meilleure tolérance à la douleur = on se sent plus puissant. Mais il faut quand même s’évertuer à ne pas les démocratiser pour ne pas qu’ils perdent leur aura magique 😉

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      1. Miromensil dit :

        Yep, c’est tout à fait ce qu’ils disent dans la vidéo ! Ca aurait pu être « parapluie » le gros mot, s’il était entré ainsi dans les moeurs sociales… c’est très curieux. Du coup c’est cool que t’aies abordé le sujet 🙂

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  10. L'Akène dit :

    J’adore ce texte ^^
    J’aime les jurons, injures recherchés, pas le simple « merde » mais ceux un peu plus capillotractés, qui demandent réflexion ! Récemment, je m’en suis concoctée un : « les acéphales » (souvent utilisés pour qualifier les chasseurs me concernant, ahem). Je trouve ça très chouette et ça peut bien dire ce que cela veut dire ! Après, comme interjection, j’évite de manière générale car je me contente bêtement des plus connues. Faut que je développe ce vocabulaire !
    Je ne sais pas si tu connais un des blogs de Camille Gillet mais je trouve qu’elle a la même réflexion que toi sur la vulgarité et vous avez la même façon d’écrire ! Je ne sais pas si tu filtres les liens, mais à tout hasard je ne mets pas l’URL, il suffit de taper « Press Enter » pour le trouver.

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